La plupart des gens ne connaissent pas un centième de ma vie, de ce que je pense, de tout ce qui me passe par la tête. Ils se contentent de m'éviter, vexés de mes réflexions ou, dans certains cas, de ma totale ignorance. D'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours été comme ça. Je suis l’aîné d'une famille nombreuse (toujours moins que celle des Weasley, n'exagérons rien). Mes quatre petites sœurs, des quadruplées (ma pauvre mère...), représentent tout pour moi. La douce Anna, la courageuse Clarice, la généreuse Sophie et la belle Rose. Elles sont mes princesses, mon univers, les étoiles de mon ciel tourmenté. Et moi, je suis leur preux chevalier, prêt à tout pour terrasser les dragons qui menacent leur tranquillité et leur sécurité. Je m'occupe d'elles depuis qu'elles sont nées. Trois jours avant l'accouchement de ma mère, mon ivrogne de père s'est barré de la maison, angoissé à l'idée d'avoir autant de filles. Mais ce n'est pas de l'angoisse qu'il a ressenti ce jour-là. Non, c'était de la lâcheté. J'imagine même qu'il avait peur de sacrifier une partie de son budget "bières pas chères" afin de nous permettre de vivre convenablement. Ma mère a été inconsolable suite à son départ. Après la naissance des quadruplées, elle s'est emmurée dans son propre corps, verrouillant à jamais l'accès à ses pensées, et petit à petit, à son cœur.

Pour mes sœurs, j'ai toujours été une sorte de père. Après tout, je suis l'homme de la maison suite au départ de notre géniteur. On ne parle jamais de lui chez moi, c'est un sujet tabou, un esprit qui hante malgré tout notre âme. C'est un moldu. Je n'ai rien contre eux, évidemment, mais ce moldu là est lamentable. Mal-élevé, sale, alcoolique et violent. Je n'ai jamais compris ce qui avait poussé ma mère à l'épouser et encore moins à coucher avec. Je ne vais pas m'en plaindre, parce que je suis là aujourd'hui, mais la logique de la situation m'a toujours plus ou moins échappé. Bref, tout cela pour dire que je suis un sang-mêlé. Mes sœurs aussi, mais aucune d'entre elles n'a jamais montré le moindre pouvoir magique. Exceptée Anna, qui est une cracmol. Curieusement, ça ne la dérange pas. Si elle adore me voir utiliser la magie à la maison (je suis majeur, ne me dénoncez pas au ministère de la magie), elle ne semble pas souffrir de la situation. J'ai développé pour la première fois mes pouvoirs vers l'âge de neuf ans. J'étais furieux contre ma mère, qui ne voulait pas se bouger du lit pour regarder mon cahier de notes (avec une moyenne de dix-neuf, même aussi jeune, j'étais le plus fier des petits garçons). J'ai serré les poings et, sous mes yeux étonnés, son lit a commencé à bouger. Cinq minutes plus tard, elle essayait tant bien que mal d'en descendre, secouée par les ruées du matelas en colère.

Quand je suis entré à Poudlard, deux ans plus tard, une angoisse insidieuse m'a envahi. J'avais peur de laisser mes sœurs toutes seules, puisque ma mère ne sort presque pas de sa chambre, hormis pour renouveler son ordonnance d'anti-dépresseurs (un médicament moldu, qui est l'équivalent de notre sortilège d'allégresse). Au départ, j'envoyais des hiboux presque tous les deux jours. Au bout d'un mois, lasses de me voir perdre mon temps à m’inquiéter pour rien, mes sœurs m'ont assuré que tout allait bien, et que je devais me concentrer sur ma scolarité. Ce que, rassuré, j'ai réussi avec brio. Je suis rapidement devenu l'un des meilleurs de ma promotion, toute maison confondue (pas très compliqué de surpasser les Poufsouffle et les Gryffondor, je sais). Libéré d'un poids, j'ai enchaîné les succès (six optimals durant mes BUSE de cinquième année, ma plus grande fierté, ainsi qu'une nomination au poste de préfet), sacrifiant au passage ma vie sociale. Mais qu'importe. Je n'ai jamais été du genre à m'amuser dans la salle commune avec les autres. Rien ne m'intéressait à cette époque, hormis le fait d'être meilleur que tout le monde. Je n'ai parlé à pratiquement personne avant ma quatrième année, année durant laquelle j'ai commencé mon marché noir de potions. Grâce au bouche à oreille, j'ai rapidement gagné une clientèle régulière. Mes services offraient à ceux qui possédaient assez de gallions des potions anti-migraine, des filtres d'éclair de génie, des potions d'hyper-mémoire à durée limitée et des concoctions en tout genre. Si mon catalogue se limitait aux potions utiles en période d'examen, je proposais aussi un service personnalisé qui permettait aux élèves de passer des commandes. Une fois l'argent encaissé, j'envoyais tout à mes sœurs, histoire de les aider à survivre en ces temps difficiles. Les médicaments de ma mère coûtaient chers et bien souvent, il n'y avait pas beaucoup à manger à la maison. Lorsque j'ai été promu préfet, j'ai de suite arrêté mon activité parallèle et illégale qui aurait pu me coûter ma place à Poudlard.

Mais je m'accroche, et je me démène le plus possible pour décrocher les meilleures notes afin d'obtenir un travail bien payé. Malgré mon caractère solitaire, j'ai aidé les élèves plus jeunes lors de l'attaque de Poudlard en mai 2000. Alors quand les gens me disent que je ne pense qu'à moi et que je ne suis pas généreux... ça me fait bien rire. Je n'ai rien à leur prouver, à tous ces idiots qui n'arrivent même pas à profiter de leur innocence et du manque de responsabilités. C'est pour ça que j'admire beaucoup ceux qui traversent des moments difficiles. Ils savent ce que c'est de perdre des gens, de racler les fonds de tiroir pour acheter des fringues d'occasion sur le chemin de traverse. Je ne suis pas du genre à me plaindre, et encore moins à me confier. Les autres peuvent bien penser ce qu'ils veulent. Pour eux, je suis invisible mais impossible à rater. Abordable, mais dur à saisir. Je porte peut-être du bleu, mais mon esprit est celui d'un serpent. Je suis un amas d'incohérence, que la plus grande des pelles ne pourrait pas déplacer. Je suis Ayden Honeycutt, le frère adoré, le fils indigne, l'ami qu'on aime bien quand même, celui qui nous tape sur le système, le monsieur-je-sais-tout, l'aigle aux écailles de reptile, le potionniste. Je suis unique, tout simplement.